« Quand j’étais enfant, il n’y avait pas
plus de trois ou quatre voitures à Saint-Ferme. »
* Je
suis née dans le bourg de Saint-Ferme, au café Les Ormeaux en 1922. De 1932 à
1935, j’ai vécu à Paris, car ma mère a divorcé et refait sa vie avec un
Parisien. Mais ça n’a pas marché avec lui et elle est revenue en Gironde. Elle
a alors repris son café auquel elle a ajouté une épicerie.
Saint-Ferme
autrefois, c’était une pagaille de métayers qui n’étaient pas riches. Il y avait le château du maire, le château du Parc et le château de la Gajante qui avait au moins deux
métairies. C’était un gros exploitant avec beaucoup de bois et de forêts.
Saint-Ferme était très boisé autrefois, puis des entreprises sont venues
déboiser. Dans le bourg, il y avait des ormeaux qui bordaient les routes, mais
ils ont disparu depuis longtemps.
|
Entrée du bourg de Saint-Ferme au début du XXe siècle. |
|
Le Château de la Gajante au début du XXe siècle |
Tout le monde se connaissait à Saint-Ferme. Les gens
de la vallée du Dropt, qui se croyaient supérieurs, appelaient les gens de
Saint-Ferme les Brugueyre. C’est le
nom Patois d’une plante qui pique les pieds. Quand j’étais petite, je disais à
mon oncle : « Tu mets de la
brugueyre sous le pied de tes vaches ? ». J’avais peur qu’elles
aient mal. On passait pour des retardés. Beaucoup de gens parlaient le Patois.
Il y avait deux Patois, celui des gens originaires de Charente, le Gavache, et
le patois local. Celui qui savait bien le Patois, il comprenait bien le
Gavache.
Quand j’étais enfant, il
n’y avait pas plus de trois ou quatre voitures à Saint-Ferme. Dès qu’il y a eu
la voiture, les gens ne venaient plus faire leurs commissions à Saint-Ferme que
pour se dépanner. Ils préféraient aller au marché de Monségur ou de Pellegrue.
Mais au départ, seuls les riches avaient des voitures. Ça a commencé avec le
propriétaire du château du Parc. Il était
venu en voiture jusqu’aux pompes situées contre le mur de la place de l’abbaye.
Tout le monde s’était déplacé pour voir la voiture.
Dans le virage, devant
l’abbaye, il y avait un puits qui ne tarissait jamais. Dans chaque propriété,
il y avait un puits, mais dans les moments de sécheresse l’été, les gens des
alentours venaient à ce puits en charrette pour remplir les barriques.
|
Le Château du Parc au début du XXe siècle. |
|
La margelle de l’ancien puits du bourg de Saint-Ferme se trouve aujourd’hui devant l’abbaye et sert de banc. |
|
Le puits du bourg de Saint-Ferme se trouvait à l’emplacement de la pompe à eau, encore visible dans le virage devant l'Abbaye.
|
|
Marcelle et Guy Courniol au début des années cinquante.
|
« Presque
tout le monde était agriculteur à Saint-Ferme à cette époque-là. »
* Mes parents étaient agriculteurs propriétaires à Saint-Ferme au
Lieu-dit La Basse Brande. C’est là
que je suis né en 1926. C’était une propriété de quarante hectares environ, où
l’on produisait surtout du vin et où l’on élevait du bétail pour la viande.
Nous faisions également du blé et nous avions des prés pour faire paître les
vaches. Nous étions cinq sur la propriété : mon père, ma mère, moi et mes
deux frères, qui étaient plus jeunes que moi. Mes grands-parents sont restés sur l’exploitation
jusqu’à leur décès. Il n’y avait pas d’ouvriers agricoles chez nous. C’était une vie dure, mais on y était habitué et nous vivions
confortablement. On
organisait les activités d’un jour sur l’autre, en fonction du temps. On
utilisait un baromètre, mais c’était compliqué de connaître le temps qu’il
ferait le lendemain. Parfois, c’était partie remise.
|
Jean Teyssou (à droite), le jour de sa communion, avec ses deux frères, Guy et Charles. |
|
Jean Teyssou vers 1940. |
Presque tout le monde était
agriculteur à Saint-Ferme à cette époque-là. On faisait appel aux voisins et
l’on s’entraidait pour les vendanges, les fenaisons et, surtout, pour les
battages : au moment des moissons, la batteuse passait à tour de rôle,
chez les uns et chez les autres. Il y avait toujours un bon repas à la fin des
vendanges, le pampaillou. C’était
sympathique.
Je me souviens que vers 1950,
une entreprise est venue faire un forage à La
Brande pour chercher du pétrole. Ils n’ont rien trouvé.
|
La Famille Teyssou à la Basse Brande vers 1945. Debout : Jean Teyssou (à droite) et ses deux frères, Charles et Yves. Devant : leurs parents, Henriette et André Teyssou. |
|
Forage pétrolier à La Brande en 1950. |
Je me suis marié en 1957 et mon
épouse, Annette, est venue s’installer avec moi à la ferme. Je la connaissais
depuis très longtemps. Nous sommes allés à l’école ensemble. Ses parents
étaient agriculteurs à Saint-Ferme, au lieu dit Darmissan, à la sortie de Saint-Ferme, sur la route de Pellegrue.
Mon beau-frère est ici avec moi à la maison de retraite. Ils faisaient, comme
nous, le vin, le blé et le bétail. Je n’avais pas vraiment envie de continuer la
ferme, c’était pénible quand même. Mon épouse aussi avait envie de faire autre
chose. Nous avons arrêté quelques années après notre mariage pour partir
travailler à l’hôpital de Monségur. J’étais gardien et ouvrier d’entretien à
Neujon. Nous habitions dans la résidence de l’hôpital, à la conciergerie. On y
est resté de nombreuses années. Mes deux frères non plus n’ont pas continué
l’agriculture et mes parents ont vendu.
Depuis
cette époque-là, il y a des bois qui ont été arrachés, à mon grand regret. Petit
à petit, les prés ont été plantés en vignes, et inversement, il y a des
endroits qui étaient plantés en vignes qui sont devenus des prairies ou des
terres labourables.
|
Photo de mariage de Jean et Annette Teyssou à La Brande en 1957. Debout de gauche à droite : les parents de Jean, André et Hanriette Teyssou, les parents d’Annette, Simone et Raymond Bernard, la grand-mère de Jean, Jean et Annette et les grands- parents d’Annette. |
|
La Basse Brande en 1950. La ferme de la famille Teyssou est entourée de prés. |
|
La Basse Brande en 2011. Les vignes recouvrent toutes les terres situées autour de la ferme. |
« Le
bourg de Saint-Ferme était important et animé ... »
* Je suis né le 9 juin 1934 à Saint-Ferme au
lieu dit Darmissan sur la Route de
Saint-Ferme à Pellegrue. Mes parents, qui étaient
agriculteurs, avaient acheté la maison en 1920. Ce n’était pas une habitation confortable, mais
il y avait de beaux bâtiments d’exploitation : deux granges, deux chais …
Au début, nous avions seulement
une grande pièce principale dans la maison avec un sol en carreaux de Gironde
et une cheminée. Puis en 1938, mes parents ont fait construire une chambre à
côté de la cuisine, avec une lucarne de toit. Nous dormions à trois ou quatre
dans cette chambre, sur des lits en bois de 120 avec des matelas en laine. Un
matelassier passait pour l’entretien et réparait sur place. L’électricité,
c’est le lieutenant des pompiers, Cazaux, qui l’avait installée vers 1932.
L’eau courante est arrivée après la guerre. C’est le père de Monsieur Dussaut
qui a monté la pompe. Avant, nous allions au puits situé dix mètres devant la
maison. Pour les toilettes, on avait une cabane.
|
Darmissan sous la neige en 1956. |
|
Darmissan sous la neige en 1956. Les palmiers ont gelé cette année-là. |
J’ai
travaillé à la ferme jusqu’en 1961. Nous faisions du blé, de la vigne, et de
l’élevage. Puis je suis devenu gendarme mobile à La Réole. Nous avons vendu Darmissan au moment du remembrement, en
1974. Ce
remembrement a apporté beaucoup de choses positives pour les passages et
ça a permis de regrouper les terres, de faire de plus grands espaces. Avant,
nous n’avions que des petits morceaux de bois par ci par là, des vignes à
droite et à gauche … Les paysans avaient une drôle de mentalité et ils ne
faisaient pas facilement d’échanges. Maintenant
Darmissan n’est plus une ferme, c’est
une belle maison.
|
Simone et Raymond Bernard, les parents de Claude, à Darmissan en 1956. Derrière l’arbre, on aperçoit une rateleuse à foin. |
Le bourg
de Saint-Ferme était important et animé. Il y avait trois épiceries : la
famille Mérins, aux quatre routes du
bourg, Monsieur Nèble, en face l’actuel boulanger, qui a été déplacé en face de
l’église et Madame Bourricaut, l’Albertine,
à la sortie de Saint-Ferme, sur la route de Pellegrue et Castelmoron. Il y
avait aussi deux forgerons : un aux quatre
routes, l’autre était cinquante mètres plus loin, mais il a eu un
problème : son ouvrier a perdu un œil, ce qui lui a coûté cher et il n’a
pas repris de personnel. Pour ferrer les chevaux, il fallait aller à Pellegrue.
Les forgerons de Saint-Ferme s’occupaient uniquement du bétail et il fallait
prendre rendez-vous.
« Les gens de Saint-Ferme se retrouvaient à l’église. »
* Je suis née en 1927 à
Saint-Ferme. Mes parents travaillaient la terre. Ils étaient propriétaires,
cultivaient la vigne et élevaient des bœufs. Pendant la guerre, ça n’était pas
occupé chez nous, mais on a quand même vu les Allemands. Une fois, ils sont
passés chez mes parents. Ils voulaient un veau et ont inspecté toutes les
litières. Pas de chance, nous n’avions que des bœufs.
Je me suis mariée à Saint-Ferme
en 1943. Mon mari habitait à Rimons, une commune proche. Après notre mariage,
nous nous sommes installés dans le bourg de Saint-Ferme, dans la rue
principale. Comme nous avions seulement une cour derrière la maison, on louait
le jardin de l’école pour faire venir des légumes. A Saint-Ferme, nous avions trois
épiciers, un boulanger et un boucher, Monsieur Cao. J’achetais les volailles
chez les paysans du coin.
|
Le bourg de Saint-Ferme au milieu du XXe siècle. Odette Pinlou habitait avec son époux dans la dernière maison sur la gauche avant le virage, autrefois occupée par l’épicier Nèble. |
Les gens
de Saint-Ferme se retrouvaient à l’église. La cloche sonnait tous les jours, à
midi et le soir. Il n’y avait que le matin qu’elle ne sonnait pas, pour ne pas
réveiller les gens. Beaucoup de personnes venaient à la messe le dimanche. Moi,
je n’y allais pas. On n’était pas tellement croyant dans ma famille. Je m’y
rendais seulement pour les fêtes, la fête de l’Agneau, les baptêmes, les mariages
… Je la connais par cœur cette abbaye. Il y avait déjà des touristes qui
venaient la visiter à ce moment-là, mais moins que maintenant.
|
L’abbaye de Saint-Ferme au milieu du XXe siècle. Dans le prolongement de l’abbaye, sur la droite : l’école et la Mairie. |
|
Cour intérieure et puits de l’abbaye de Saint-Ferme au début du XXe siècle. |
|
Cour intérieure et puits de l’abbaye de Saint-Ferme au début du XXe siècle. Au centre de la photo, à l'étage, on voit les deux fenêtres de l'école publique. |
|
Cour intérieure et ancien puits de l’abbaye de Saint-Ferme en 2011.
|