« On devait rester
allongée douze jours après l’accouchement. »
* J’ai eu mon premier enfant en
1935 et ma fille en 1937. J’ai travaillé jusqu’à la fin de mes grossesses, tout
le temps et jusqu’au dernier moment. Le docteur m’a simplement prescrit une
analyse d’urine et m’a dit que tout était normal. Pour mon premier
accouchement, nous sommes allés chercher le docteur de Sauveterre, Monsieur
Raffin, le matin à quatre heures. Il a regardé le matériel que j’avais préparé
avec ma mère, mais il manquait des choses. Pour accoucher, on avait besoin d’un
gros paquet de cotons, d’un paquet de gazes … Il a donc fait une ordonnance et
la voisine est allée chercher ce qu’il manquait en bicyclette. J’ai accouché
sur un petit lit, puis, après l’accouchement, le docteur m’a porté sur un autre
petit lit. Le docteur se faisait payer pour les accouchements et il n’y avait
pas d’assurance comme maintenant. C’était 300 francs, je crois. Une fois le
bébé né, le docteur partait puis revenait le soir pour contrôler. On devait
rester allongée douze jours après l’accouchement. Les premiers jours, il
fallait avoir quelqu’un pour aider, préparer le repas, faire la lessive … Ma
mère était très présente. Mon mari ne dormait pas avec moi pendant ces douze
jours.
On préparait le linge du bébé à
l’avance : les drapelles, les maillots … On faisait les maillots dans de
vieux vêtements qu’on mettait de côté. Les maillots allaient avec la drapelle,
un vieux drap de lit qu’on coupait d’une certaine longueur pour pouvoir plier
les jambes du bébé et le retourner.
Je m’occupais des enfants et de
la maison. Mon mari m’aidait parfois. Il aimait beaucoup les faire marcher. On
utilisait un trotteur à glissière pour que le bébé puisse se promener. Les
bébés dormaient le matin de neuf heures trente jusqu’à onze heures. Je pouvais
aller au champ pendant ce temps et s’ils se réveillaient, hé bien ils
criaient … Je les emmenais parfois avec moi, mon fils assez peu : il
préférait être à la maison. Une fois qu’il faisait beau, je l’avais mis dans le
landau pour aller à la vigne, et il s’est mis à crier sur la route, alors j’ai
dû rentrer.
« J’ai failli plusieurs
fois demander le divorce, mais comme j’avais beaucoup souffert du divorce de
mes parents, j’ai voulu l’éviter pour mes enfants. »
* J’ai rencontré mon mari pendant la débandade. Il
était normand. Nous nous sommes mariés à l’abbaye de Saint-Ferme en 1941.
J’avais dix-neuf ans. Mon
mari avait fait sa communion. Moi, j’étais seulement baptisée, et j’ai dû faire
ma communion avant le mariage pour pouvoir me marier à l’église. Je me suis
mariée en blanc. Le mariage ayant lieu pendant les restrictions, ma mère m’a
payé une robe bon marché et s’est arrangée pour faire tuer un mouton clandestin
afin d’offrir un repas convenable aux invités.
J’ai eu mon premier fils en
1942, neuf mois après notre mariage, puis six ans plus tard, j’ai eu mon second
fils. J’ai toujours travaillé jusqu’à la fin de mes grossesses. C’est le
docteur Gateau qui m’a accouchée la première fois, un vieux docteur qu’avaient
eu ma mère et ma grand-mère, puis j’ai eu le docteur Rousset. On nous gardait
deux ou trois jours au lit, mais il n’était pas question de s’arrêter de
travailler. En 1941, on n’avait pas la sécurité sociale. Pour obtenir les
fournitures nécessaires au bébé chez le grossiste, il y avait des tickets de
rationnement.
Je servais les clients de la
boucherie et du tabac avec mes enfants sur les bras. J’ai allaité mon aîné
jusqu’à quinze mois. Ma mère me remplaçait pour servir lorsque j’allais
l’allaiter. C’était dur de tenir le commerce avec deux enfants. Mon mari
n’était jamais là. Les clientes me disaient : « Il n’est pas là ton mari ? ». Je leur répondais :
« Hé bien non,
cherchez-le ! ». Il était à la palombière ou ailleurs … C’est ma
mère qui me l’avait choisi. Quand elle s’est rendu compte qu’elle s’était mis
le doigt dans l’œil, il était trop tard. Je ne voulais pas d’autres enfants et
mon docteur m’avait recommandé des lavements avec un produit pour ne pas tomber
enceinte. J’ai failli plusieurs fois demander le divorce, mais comme j’avais
beaucoup souffert du divorce de mes parents, j’ai voulu l’éviter pour mes
enfants.
« On n’avait pas le temps de les savoir malades qu’ils
étaient déjà morts. »
* Je n’avais pas tout à fait quinze ans lorsque je me suis mariée,
en 1941. C’était un mariage d’amour. J’ai eu six enfants, rapidement. La
première, Gilberte, est morte à onze mois du choléra enfantin. Ils sont quatre
ou cinq enfants à être morts de cette maladie sur Saint-Vivien cette année-là.
On n’avait pas le temps de les savoir malades qu’ils étaient déjà morts. Puis j’ai eu Jean-Claude, Coco. Handicapé, il aimait bien se
promener un peu partout et discuter avec tout le monde. Puis j’ai eu Jeannine,
Suzanne et Armand en 1952. Mes grossesses se sont toujours bien passées et j’ai
pu travailler jusqu’au bout. J’ai accouché à chaque
fois à la maison, sauf pour Jeannine : je suis allée à la maternité de
Monségur parce que la sage-femme, Mademoiselle Ducot, ne pouvait pas venir. Quand le bébé était né, la
sage-femme le lavait et l’emmaillotait, puis je m’en occupais.
À la ferme, je faisais ce que je pouvais
avec les enfants. J’avais
ma belle-mère et ma mère qui m’aidaient. Elles habitaient près de chez moi. Tant qu’ils étaient petits, je les emmenais
aux champs dans la brouette. On
avait des ruses pour pouvoir travailler avec eux : on mettait une planche
sur la brouette pour qu’ils puissent se tenir debout. On avait bien un landau,
mais la brouette était plus pratique pour aller au milieu des terres.
Je me levais au point du jour,
je disais aux enfants de faire leur toilette, puis ils déjeunaient avant
d’aller à l’école à pied, à Saint-Vivien. Ils mangeaient dans le bourg chez ma
belle-mère à midi. Ils se
débrouillaient. Une fois tout le monde parti à l’école, je pouvais partir
travailler et je rentrais pour la sortie de l’école.
Jeanne Peyraud (derrière, à gauche), son mari et ses cinq enfants, devant leur ferme, au lieu-dit Dénéchot, à Saint-Vivien-de-Monségur au début des années soixante. |
« Pour soulager les femmes
on ne faisait pas grand-chose. »
* J’ai accouché à la maternité
de l’Hôpital de Monségur. C’était juste après la guerre. Mon mari était absent
pour les deux accouchements. Pour soulager les femmes on ne faisait pas
grand-chose. Il fallait souffrir. On restait quelques jours à la maternité. Les
sages-femmes nous aidaient un peu. Je me souviens qu’à cette époque-là, on
emmaillotait le bébé à sa naissance.
Anciens bâtiments de l’Hôpital de Monségur avant leur démolition en 1993. |
Anciens bâtiments de l’Hôpital de Monségur avant leur démolition en 1993. |
Anciens bâtiments de l’Hôpital de Monségur avant leur démolition en 1993. |
Anciens bâtiments de l’Hôpital de Monségur avant leur démolition en 1993. |
Anciens bâtiments de l’Hôpital de Monségur avant leur démolition en 1993. |
« Je me suis toujours occupée de tout à
la fois : le magasin, la maison et les enfants. »
* En 1947, pour mon fils, j’ai
accouché chez moi avec la sage-femme de Monségur, Mademoiselle Ducot. Pour ma
fille, en 1951, c’était le docteur Rousset. Je me suis toujours occupée de tout
à la fois : le magasin, la maison et les enfants. C’est ma mère qui gardait
les enfants quand nous partions le soir faire des tournées de cinéma avec mon
mari. Tant que je bougeais et que j’étais dehors, j’étais contente.
« C’est le docteur Rousset, de Monségur,
qui s’est occupé de moi au moment de ma deuxième fausse couche, puis pour ma
grossesse. »
* Je suis née le 10 juillet 1919 à
Baleyssagues. Après mon mariage en 1938, nous sommes restés huit ans avec mon
mari chez mes parents. Ils ne voulaient pas de ce mariage parce que mon mari
avait dix ans de plus que moi. Alors que pour moi, ça n’avait aucune
importance. Puis nous nous sommes installés au Puy. Mon mari était cantonnier
et moi, je faisais le tabac. J’ai eu une fille en 1956, après plusieurs fausses
couches. J’ai travaillé le tabac jusqu’à mon accouchement.
C’est le docteur Rousset, de Monségur,
qui s’est occupé de moi au moment de ma deuxième fausse couche puis pour ma
grossesse. Je me souviens qu’il fallait que j’aille à pied à Monségur avec la
neige, qui était très épaisse. Ma fille est née à La Réole. C’est le docteur
Rousset qui m’a conduite là-bas avec mon mari. La maternité était tenue par des
sœurs. En même temps que moi, Il y avait une fille qui accouchait sous x. Elles lui en ont fait voir.
Comme la fille n’avait rien acheté pour le bébé, les sœurs lui avaient apporté
de la laine pour qu’elle tricote des brassières. Tous les jours les sœurs
passaient pour voir si le tricot avançait
« J’étais domestique à
Cazaugitat chez Monsieur Dutilh, le maçon, dans le bourg. »
* Je suis née le 14 mars 1926 à Soussac. Mes
parents travaillaient la terre. Quand j’ai eu quatorze ans, j’ai dû aller
travailler chez les autres. J’étais domestique à Cazaugitat chez Monsieur
Dutilh, le maçon, dans le bourg. Sa femme était institutrice. C’était dans la
maison de l’école. J’y avais une chambre. Je m’occupais de deux maisons, celles
du père et du fils Dutilh, et du jardin. Je travaillais toute la journée :
je faisais le ménage, un peu de cuisine et je m’occupais de leur fils, Lionel.
C’est moi qui l’ai élevé. Je ne couchais pas Lionel, c’est la patronne qui le
couchait. Mais quand ils partaient en vacances, c’est moi qui m’en occupais et
qui l’avais sur le dos toute la journée. J’y suis restée huit ans jusqu’à mon
mariage en 1951.
J’avais des copines. On se
retrouvait chez mes patrons pour sortir les dimanches et jours de fêtes. On ne
ratait aucun bal. J’aimais bien danser le tango, la java, la marche et la
valse. Les bals se faisaient dans une salle champêtre à Soussac ou à
Cazaugitat.
Mon mari était tueur d’abattoir
à Pellegrue et boucher ambulant. Je l’ai rencontré à Cazaugitat, quand il
venait vendre de la viande le samedi. Après mon mariage
en 1951, je suis allée habiter à Saint-Ferme, à Matelot. C’était une maison en retrait de la route, avec un petit
enclos, qui appartenait à mes beaux-parents. Ils étaient bouchers à
Saint-Ferme, en face l’abbaye. Mon
beau-père avait un magasin dans le bourg de Saint-Ferme qu’il a vendu à sa
retraite.
Marcelle Courniol à Matelot (commune de Saint-Ferme) vers 1960. |
Marcelle Courniol devant son ancienne maison, à Matelot (commune de Saint-Ferme), en 2011. |
Lionel Dutilh. |
« Après mon divorce, vers
1950, je me suis installée à Coutures-sur-Drot avec mes parents … »
* Je suis née le 14 novembre
1931 à Saint-Romain-de-Vignague. Mes parents étaient métayers chez
Chatain. J’allais à l’école de Sauveterre-de-Guyenne. Nous étions plusieurs
enfants à faire le trajet à pied depuis Saint-Romain-de-Vignague. On était jeune, on rigolait et l’on
était vite arrivé. Je ne suis pas beaucoup allée à l’école, parce que, pendant
la guerre, Sauveterre était occupé par les Allemands. Comme il fallait se
déshabiller et passer à la cabine des Allemands à chaque trajet, on n’y allait
peu. Nous faisions les devoirs à la maison et on les portait à l’école le
samedi. Le directeur de l’école s’appelait Monsieur Brugère.
À la fin de la guerre, je me
suis mariée à Coutures-sur-Drot avec un voisin de Sainte-Colombe-de-Duras,
domestique comme moi. Je portais une robe à fleurs le jour de mon mariage. Ça
se faisait beaucoup autrefois. Comme mon mari me donnait des coups de poing et
des coups de trique, j’ai fini par annoncer à ma belle-mère, avec laquelle je
m’entendais très bien, que je le quittais. C’est elle qui a élevé ma fille
lorsque je suis partie, ce qui m’a permis de travailler et de gagner ma vie.
Après mon divorce, vers 1950,
je me suis installée à Coutures-sur-Drot avec mes parents, qui étaient
propriétaires d’une belle maison avec un jardin, près du ruisseau. Plus tard,
j’ai trouvé l’amour et je me suis installée chez Geffrault. À Coutures, il y
avait un boulanger, un boucher et un épicier. Un marchand, épicier à Neuffons,
passait régulièrement avec son fourgon et s’arrêtait devant notre porte.
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