L'école de Taillecavat


«  Les gosses intelligents, je les poussais à avoir une autre situation. »

* Je suis née à Saint-Macaire le 4 mars 1921. Je suis devenue institutrice au début de la guerre, aussitôt après mon bac de mathématiques. A cette époque-là, les normaliens avaient les postes de titulaires et les bacheliers faisaient surtout des remplacements. J’ai commencé par remplacer des instituteurs mobilisés. Je ne pensais pas faire ce métier longtemps, mais ça m’a beaucoup plu. J’aimais le contact avec les enfants. J’ai appris le métier sur le tas, avec l’aide d’institutrices qui connaissaient bien le métier.
J’ai d’abord circulé dans toute la Gironde, puis je me suis installée à la fin de la guerre à l’école de Taillecavat, d’où mon mari était originaire. Ses parents étaient agriculteurs. Je l’ai connu au bal. Il était très intelligent. Il s’est installé avec moi dans la maison de l’école. Sa famille faisait de la polyculture et comme ils étaient nombreux sur l’exploitation, ça ne rapportait pas beaucoup. Alors il est devenu secrétaire de mairie, à Taillecavat et dans une autre commune, tout en continuant à travailler à la ferme avec ses parents.
À Taillecavat, c’était une école mixte avec deux classes : il y avait la grande classe du Cours moyen première année au Certificat d’études et la section maternelle qui accueillait les petits à partir de cinq ans.
J’étais une institutrice sévère. Il fallait que les enfants soient sages en classe et qu’ils travaillent bien, sinon je les punissais avec des conjugaisons, pas des lignes, uniquement des verbes pour qu’ils apprennent quelque chose, ou bien ils allaient au coin. Je donnais aussi des fessées et des tapes sur les doigts, c’était l’usage et les parents ne disaient pas grand-chose. J’étais souvent invitée à manger par les parents pour les anniversaires de mes élèves. Il y avait une bonne ambiance dans le village.
Les bureaux des enfants étaient en bois, assez modernes, avec une partie qui fait table attachée aux sièges. Sur les bureaux, il y avait des encriers en porcelaine blanche que la dame de service remplissait le soir. J’avais moi aussi un bureau en bois avec un plateau qui se relève et une chaise, sur une estrade. Il fallait être plus haut que les élèves pour voir ce qu’ils faisaient. L’école était gratuite. C’est la commune qui achetait les cahiers. La classe était chauffée avec un poêle à bois en fonte. Le bois était fourni par la commune. La dame de service l’allumait le matin, puis c’était les grands qui le chargeaient dans la journée. Il y avait une récréation de dix heures à dix heures vingt, puis une autre l’après-midi. À midi, il y avait la cantine scolaire, car beaucoup d’élèves venaient de loin. Il y avait aussi beaucoup d’enfants de passage.
J’ai eu de très bons élèves. Des enfants intelligents, il y en a partout. Les gosses intelligents, je les poussais à avoir une autre situation. Tous les soirs, je faisais l’étude gratuite pour les enfants du Certificat d’études après dix-sept heures. J’essayais de convaincre les parents de me les laisser. Les gosses manquaient beaucoup autrefois. Les parents les retenaient parce qu’ils avaient besoin d’aide. Avec moi, ils ne manquaient pas. Ça bardait. Je disais aux parents : « Vous voulez qu’il ait son Certificat d’études ?  Mon mari râlait parce que je pouvais passer plus d’une heure le soir à expliquer aux parents qu’ils devaient envoyer leur enfant en classe,  que je ne pouvais pas réexpliquer sans arrêt les mêmes choses. À mon époque, les enfants n’étaient pas gâtés comme maintenant et les parents nous écoutaient davantage.
En dehors de l’école, je faisais le jardin, je lavais mon linge au ruisseau … Puis quand j’ai eu mes fils, en 1947 et 1949, j’ai pris une personne pour m’aider à laver le linge. Je voulais une fille, mais mon mari ne voulait pas d’autres enfants. Il savait quand il y avait du risque … Je tenais à ce que mes fils aillent en vacances. Avec mon salaire d’institutrice, je n’avais pas les moyens de louer une villa, alors j’avais acheté une canadienne, du matériel de camping et je partais chaque année du 14 juillet au 15 août avec mes enfants faire du camping au bord de la mer. Mon mari nous rejoignait le vendredi soir pour le week-end. Il n’y a que les fonctionnaires, comme moi, qui pouvaient partir en vacances. Les agriculteurs ne partaient pas. À ma retraite, en 1976, je suis allée habiter à Monségur où j’ai été conseillère municipale, mais je ne m’en souviens plus.
L'école de Taillecavat se trouvait autrefois dans les locaux de la mairie.

L'institutrice de Taillecavat, Paulette Reynier, avec son mari, Luc, et leur fils, Patrick, en 1948, devant l'église communale.

L'institutrice de Taillecavat, Paulette Reynier, faisant du camping avec son mari et leurs deux enfants en 1960.

Paulette Reynier, vers 1939, avant son installation à Taillecavat.

Logement de fonction de Paulette Reynier, lorsqu’elle était institutrice à Taillecavat. Cette maison est située dans le bourg entre la mairie et l’école actuelle.
Paulette Reynier (au centre) devant l’église de Taillecavat, peu de temps avant sa retraite.





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