« Comme le vin ne rapportait plus rien, nous avons demandé
une autorisation à la Seita pour planter du
tabac. »
* En 1934, nous avons pris un fermage à Rimons dans le village de Fougirard. Comme le vin ne rapportait
plus rien, nous avons demandé une autorisation à la Seita pour planter du tabac. On nous a donné dix mille pieds. Pour le planter, il fallait
suivre le tour de charrue, bien aplatir la terre, et quand il y avait deux ou
trois tours de faits, on plantait. Il fallait que ce soit bien fait, car des
experts passaient pour contrôler. Il y avait des cultivateurs qui rusaient et
plantaient un peu plus épais que ce qui était autorisé.
« C’était pénible. Il
fallait se lever très tôt le matin et s’en occuper tout le temps. »
* J’ai cultivé le tabac avec
mes parents, puis avec mon mari. Je me souviens bien de la culture du tabac, car
j’en avais marre parfois. C’était pénible. Il fallait se lever très tôt le
matin et s’en occuper tout le temps. Toute la famille participait, mais c’était
plutôt un travail de femmes.
Le tabac se plantait en début
d’année. Au début, je le plantais à la main, puis plus tard avec une machine
équipée d’un siège. Une fois planté, on le travaillait : il fallait
enlever les mauvaises herbes autour des pieds. Puis quand il avait poussé, on
enlevait des feuilles. On le récoltait vers septembre, octobre. On le ramassait
à la main, puis on le pendait dans un hangar, un séchoir à tabac en bois. Une
fois bien sec, on le serrait et on l’amenait à l’entrepôt de La Réole.
« Quand le tabac était sur
pied, on enlevait des feuilles pour ne conserver que quatorze ou quinze
feuilles par pied. »
* J’ai cultivé le tabac pendant
trente ans chez un propriétaire de Coutures-sur-Drot, Monsieur Touchet. C’était
une famille Bretonne qui n’avait jamais touché un brin de tabac. Elle possédait
plus de trente-cinq mille pieds. Presque tous les propriétaires faisaient du
tabac autrefois. Aujourd’hui, c’est devenu très rare. J’étais payée au mois, un
petit salaire, mais j’étais déclarée, j’avais la sécurité sociale et j’étais
nourrie.
La culture du tabac était difficile :
Il fallait le planter, l’ébourgeonner, l’effeuiller, le couper et le faire
sécher… Quand le tabac était sur pied, on enlevait des feuilles pour ne
conserver que quatorze ou quinze feuilles par pied. Cette culture était très
contrôlée par l’Etat. Si on gardait des feuilles en plus, c’était uniquement
pour les mettre dans les placards afin de chasser les mites. Si on en gardait
pour soi, on risquait une très grosse amende. Tant qu’il était en terre, il
fallait sans arrêt se baisser, se relever, c’était fatigant. Une fois pendu,
lorsqu’il était sec, on pouvait travailler assis. Il fallait l’effeuiller et
trier les feuilles par catégories. La première catégorie était la feuille la
plus fine, puis il y avait la deuxième, la troisième et la quatrième catégorie :
la plus épaisse. Nous portions ensuite tout le tabac à l’entrepôt Seita de La
Réole.
On le livrait en manoques. Pour
faire une manoque, il fallait bien serrer vingt-quatre feuilles de la même
catégorie, et avec une vingt-cinquième feuille, on attachait à la main les
vingt-quatre autres feuilles en les enrobant avec un mouvement circulaire. On
discutait et on rigolait pendant le travail. C’était dur, surtout quand le
soleil tapait, mais ce sont de bons souvenirs.
* Nous cultivions jusqu’à vingt
mille pieds de tabac chez Régaud à La
Tuilerie. Nous avions un séchoir à tabac en bois. Je me souviens que nous
faisions les manoques le soir après souper à la veillée, dans la cuisine.
« Des fois, à minuit,
on était encore en train de pendre le tabac dans le grenier. »
* Mon mari était cantonnier et moi je
faisais le tabac, pour moi et à moitié pour Roger Châtel. On lui plantait le
tabac, et on lui donnait la moitié de la récolte. Maintenant ça se fait presque
tout seul le tabac, mais autrefois il fallait le planter, l’effeuiller, couper
le haut du pied ... C’était tous les jours sauf quand il pleuvait ou qu’il y
avait trop de soleil. C’était la galère.
Il était planté en pleine terre sur une
ligne. Il fallait désherber et éliminer les rejetons à la main. On avait le
contrôleur qui passait pour voir si l’on ne trichait pas, car il y avait un
nombre de pieds et de feuilles limités. Chez nous, le contrôleur avait
confiance, c’était vite fait. Il fallait ensuite couper le tabac au pied avec
la serpe.
J’ai passé mon permis de conduire pour
pouvoir transporter le tabac plus facilement. Je mettais la voiture près du
champ, je ramassais les feuilles, puis je les chargeais dans la voiture et je
les transportais à la maison. On n’avait pas de séchoir, nous le mettions dans
des greniers, chez nous ou chez des neveux.
Nous avions une machine pour attacher et
pendre les feuilles. On les montait par paquets avec le monte-charge en les
attachant par la côte. Il y avait un gars en bas qui les préparait et un autre
en haut qui les défaisait. Il fallait faire attention à ne pas casser les
feuilles. Des fois, à minuit, on était encore en train de pendre le tabac dans
le grenier. Je ne souhaite pas aux jeunes un boulot comme ça. Quand le tabac
était sec, bon à descendre, pas sec à fond, il fallait trier les longueurs.
Puis on faisait des manoques par vingt-cinq feuilles pour les amener à
l’entrepôt de La Réole. Là bas, Il fallait pister pour ne pas se faire piquer
la récolte. On devait choisir le bon jour pour faire les manoques. Il ne
fallait pas que ce soit trop sec ni trop humide. Une fois, avec mon mari, on
avait bien préparé les manoques, puis il était parti jouer à la pétanque. Je
suis montée au grenier, les manoques avaient chauffé. J’ai dû décroiser les
piles et les étaler dans le grenier pour les aérer. Je l’ai maudit plus d’une
fois, le tabac. Dans les greniers où il y avait du tabac, ça sent encore. On ne
fumait pas chez nous.
Mon mari n’a jamais voulu que je sois déclarée, ce qui fait que je n’ai
pas de retraite. Je touche 555 euros par mois.
« On le séchait dans une
vieille baraque située près de la ferme du Christ. »
* Ce n’était pas bien sorcier
le tabac : On vous donnait la graine, on le semait, on le ratissait, on le
repiquait. Mais c’était très contrôlé, il fallait donc le faire comme il faut.
Nous avions vingt-deux mille pieds. On le séchait dans une vieille baraque
située près de la ferme du Christ.
Nous étions mal outillés et ça n’était pas très pratique, parce qu’on avait des
champs de chaque côté de la route qui va de Monségur à La Réole.
« Vers le mois de mai, on
arrosait bien les plants pour assouplir la terre, avant de les arracher
doucement avec le doigt. »
* La culture du tabac était une vraie corvée, mais tout le monde
en faisait. C’est
la culture qui rapportait le plus à mon époque, quand il était bien fait et
qu’on s’en occupait. On était sûr d’être payés, car la culture était garantie
par l’état.
Il fallait d’abord le semer, puis planter les semis au cordeau. Avant les semis, il fallait
brûler la terre pour qu’elle soit propre. On mettait du terreau ou de
l’engrais, des débris de cuisine pour enrichir la terre. Ensuite, vers le mois
de mars-avril, après les gelées, on le semait à la main, à la volée, le plus
régulièrement possible et pas trop épais, car si c’était trop épais, ça ne
poussait pas. C’est la Seita qui nous
donnait les graines, en sachet. Il fallait ensuite bien sarcler entre les pieds
avec la bêche ou la binette pour désherber. Vers le mois de mai, on arrosait
bien les plants pour assouplir la terre, avant de les arracher doucement avec
le doigt. Il fallait faire très attention car le plant de tabac est délicat. On
les mettait dans un panier à vendange en bois. Puis on préparait la terre où
l’on allait transplanter les semis sur un terrain bien préparé et bien aplani.
Ensuite on replantait les semis avec un plantoir en bois. On plaçait un cordeau
pour faire des plantations droites et pour mesurer la distance entre les
plants, soixante-dix centimètres entre chaque plant. C’était une corvée.
Quand le tabac était sur pied, on devait l’ébourgeonner, car il ne fallait pas laisser
de fleurs sur les pieds On devait mettre une goutte d’huile sur les tiges
ébourgeonnées. Il fallait également l’effeuiller en comptant
les feuilles par pied. Il
n’y avait pas de dimanche ni de jour de fête. Plus tard on a travaillé avec des
machines.
Lorsqu’il était sec, il fallait l’effeuiller,
lisser et trier les feuilles par catégories « en rimes » dans le
grenier, pour faire des manoques. On
triait les différentes catégories de feuilles en fonction de leur longueur, de
leur texture et de leur couleur. On mettait les manoques les unes sur les
autres. Une manoque se composait de vingt-cinq feuilles. Puis on livrait le tabac en manoques à
l’entrepôt de La Réole. Un
jour, j’ai eu la cote 44, c’était la plus haute cote qu’on pouvait avoir et qui
récompensait un travail bien fait. C’est l’entrepôt qui attribuait la note. Il
y avait trois prix, la cote 44 permettait d’avoir le meilleur prix. Mes
manoques avaient leurs feuilles bien lissées, car il y avait une grand-mère qui
habitait à côté de chez moi et qui me les avait lissées pour m’aider.
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