Monségur



 « Nous allions nous doucher à l’hôpital de Monségur. »

* Je suis née à Monségur le 14 juin 1925. La maison et le magasin de mes parents étaient situés devant l’église. Quand j’étais enfant, la vie à Monségur était très agréable, c’était une vraie vie de village. On connaissait tout le monde et tout le monde nous connaissait. J’allais souvent chez le docteur Gateau. Il avait trois filles et la troisième était de mon âge. Elle travaillait bien à l’école, car sa mère l’aidait, alors que moi, je devais me débrouiller toute seule. À quatre heures, chez eux, on avait toujours une bonne confiture.
Il n’y avait pas l’eau courante quand j’étais enfant. Nous allions chercher l’eau sur la place. À Monségur, on discutait beaucoup autour du puits. Nous allions nous doucher à l’hôpital de Monségur. C’étaient des cabines ouvertes en haut, si bien que l’on entendait tout ce que les gens disaient ; on se racontait ensuite les conversations.
J’avais un frère et une sœur. Avec mon père, pour la discipline, il ne fallait pas rigoler. Il faisait très attention à mes fréquentations. À l’école, on me disait toujours :  « Il est sévère ton père, tu ne peux aller nulle part. » Je répondais : « ça ne me gêne pas, c’est pour mon bien ».
 
         Les parents de Suzanne Vignaux, Marguerite Vignaux, née Deschamps, et Emile Vignaux sur le chemin de ronde à Monségur en 1954.
Anciens bâtiments de l’Hôpital de Monségur avant leur démolition en 1993 (façade sur rue).
 

« Il y avait une atmosphère de suspicion pendant la guerre à Monségur. On sentait une gêne. »

 * Je suis née le 13 juin 1921 à Monségur. J’ai passé toute mon enfance rue Latraine. Mon père était musicien et tailleur, ma mère était au foyer. Puis, après la guerre, j’ai habité Grand rue avec mon mari.
Il y avait une atmosphère de suspicion pendant la guerre à Monségur. On sentait une gêne. Il y avait un réseau de Résistance, le Grand Pierre, et beaucoup de dénonciations ont été faites par des personnes insoupçonnables. Nous n’avons su qu’après la guerre que ça venait d’elles. Mais il n’y a jamais eu de vrais problèmes, mis à part la journée du 3 août 1944, quand les Allemands sont venus nous enfermer sous la halle. Les maquisards avaient voulu faire un exploit, passer une colonne allemande du côté du Puy ou de Dieulivol, et les Allemands ont réagi en cernant Monségur et en enfermant ses habitants sous la halle. Ils ont menacé de tuer tout le monde si le chef du réseau de résistance, Monsieur Darniche, ne se livrait pas. Quand les Allemands sont arrivés, je suis allée parler à l’un d’entre eux pour savoir ce qu’il se passait. Mes parents étaient fous. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que vous faites ? ». « Votre mari, où ? » m’a-t-il répondu. « À la campagne ! ». « Travail à la campagne ? ». « Oui ! ». Je me suis fait engueuler par mes parents.
Les Allemands ouvraient les portes, les fenêtres et tout le monde devait sortir pour aller sous la halle. Le 3 août 1944, j’étais sous la halle. Ça a été plus que traumatisant. Nous connaissions tous Monsieur Darniche, qui tenait le Café de la Place, et l’on pensait qu’il ne se dénoncerait pas. Il s’est finalement dénoncé. Dans le café d’en face, chez Boudey, ils l’ont martyrisé. On l’entendait crier depuis dehors. C’était affreux. Puis ils l’ont tué, dans les bois je crois, et ils nous ont libérés. Ce jour-là, Ils ont tué deux autres personnes, en plus de Robert Darniche : Monsieur Bonnefont, le directeur du Crédit agricole, et Monsieur Claverie, dans son jardin. Ce jour-là, j’ai décidé que je n’aurais pas d’enfant avant la fin de la guerre.

Vue de la place du marché à Monségur au début du XXe siècle.

Sous les arceaux de la place du marché, à Monségur, au début du XXe siècle.


« Quand la route départementale qui passe en bas de Monségur a été élargie, il a fallu démolir une partie de la ferme … »

* Je suis né en Italie en 1921. Mes parents sont venus en France lorsque j’avais onze ans. Ils m’ont tout de suite placé dans des maisons pour élever les vaches. On ne pouvait pas obliger les étrangers à aller à l’école.
À la fin de la guerre, je me suis marié à Mongauzy, puis je me suis installé à Monségur avec ma femme, en bas du carrefour du Christ, dans une ferme située de l’autre côté de la route. Nous étions métayers chez un propriétaire de Bordeaux, Gracian, qui avait deux propriétés au Christ, une située dans le virage et une autre un peu plus bas. Nous étions dans le virage. Le régisseur des deux métairies s’appelait Despée. Il habitait Le Puy. Nous avions une pompe à dix mètres de la maison et pour la lessive, ma femme allait au lavoir du Dropt.
Quand la route départementale qui passe en bas de Monségur a été élargie, il a fallu démolir une partie de la ferme, car elle se trouvait sur le tracé de la route. Nous avons dû partir. Je ne savais pas où aller habiter et il nous fallait un logement. J’ai trouvé la maison Ferté, à cent mètres de la route de La Réole. Elle donnait sur la vallée du Dropt. Des bordelais en étaient propriétaires. Je passais souvent devant cette maison et un beau jour, je leur ai demandé s’ils voulaient me la louer. Tout de suite, ça a marché entre nous. Ils m’ont donné du travail pour la saison, car leur fils était au régiment. Quand j’ai été embauché à l’usine Friandor, j’ai continué à surveiller leurs terres. Ma femme élevait leurs moutons et vendait la laine au marché à La Réole. En vingt ans, je n’ai jamais rien payé, ni l’électricité, ni rien. C’était beaucoup plus confortable que la métairie du Christ.

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